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L’esprit du mal de Nathalie Zaltzman

Le livre de cette psychanalyste française assez connue (1933-2009) a des passages très théoriques – ce qui signifie que beaucoup de choses m’ont échappé car je ne suis pas familier avec les débats de l’école freudienne – mais certaines phrases sont des joyaux. Dans un monde et une humanité qui a connu la Shoah, il cherche à traiter de la question du mal – notamment en ce qui précède ou dépasse l’individu – de façon psychanalytique en faisant une lecture serrée de quelques textes de Freud et de grandes œuvres de la littérature. D’une certaine manière, elle traite de questions que, dans la théologie catholique, l’on rangerait sous le chapeau de la doctrine du ‘péché originel’ (tant il est vrai, comme elle le dit, que « la filiation est la voie exemplaire, le lieu par excellence à la fois de la transmission du mal et du relevé de ces modifications et de ses résistances », 96). Comment le Kulturarbeit, le travail de la culture (défini ainsi: « Le travail de la culture est – et n’est que – l’accroissement du degré de connaissance et de conscience que l’homme réussit à gagner sur ce qui le détermine intérieurement et lui échappe », 65), permet à la fois de nommer toujours plus finement un mal, pourtant indéniablement situé au cœur du psychisme. Elle cherche à détailler les différentes étapes de la conceptualisation du mal dans l’histoire de l’humanité. La psychanalyse apporte une clarté plus grande mais cela n’est pas nécessairement une aide pour un individu toujours également plus fragile… En effet, la psychanalyse s’attache surtout à l’histoire d’un individu unique, plus qu’à tout le poids du contexte social et historique de cet individu. « ‘Le champ de notre pratique et celui de l’individuel singulier, et la référence au mal n’a pas, ne peut avoir cours dans un régime de pensée qui, par nécessité méthodologique, exclut tout jugement moral et doit tenir en suspens tout jugement de valeur’ » (32). Le risque est fréquent, dit-elle, de partir d’un « sujet individuel, isolé, ‘hors du monde’ » (34). Bien que situé dans une vision du monde clairement non religieuse, le livre est d’une grande finesse et s’achève par une magnifique relecture des Frères Karamazov de Dostoïevski. Il y a une part d’irréductible du mal qui échappe tant à l’hypothèse freudienne du meurtre originel qu’à toutes les constructions religieuses ou philosophiques. Savoir cela intimement ne protège pas mais peut aider sur le chemin de la vie. « Le travail de la culture est ce savoir intime. Il ne suffit pas que le sachent les individus, un à un. Il faut aussi que l’humanité, celle qui se purifie de ses propres crimes en se sacralisant, réussisse à « connaître » l’intimité en elle de la dimension du mal » (110).

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