
L’auteur, chercheur reconnu dont l’ouvrage sur les nazirs était une passionnante enquête sur ce phénomène (Les cheveux du Nazir, 2016), nous livre un essai sur Jésus chez Flavius Josèphe. La recherche s’est depuis deux siècles concentrée sur le fameux testimonium flavianum de la version principale (grecque) du texte. Or il existe une autre version dite « slavonne », qui est plus tardive et généralement considérée comme reflétant des modifications de scribes chrétiens. Pourtant, plusieurs détails de cette version lui paraissent peu compatibles avec cette hypothèse. Il pense que Flavius aurait fait une seconde édition (la grecque) d’une première version en ôtant des détails qui lui paraissaient moins intéressants pour son public romain et que certaines formulations peuvent donner des informations sur le « Jésus historique ». Il suit ici Etienne Nodet cité p. 34. Il y a beaucoup de points de sa première partie sur Jésus et son mouvement que je rejoins volontiers et quelques autres qui me laissent plus réservé. Cependant, sur la thèse principale, je reste sceptique, même si d’autres experts de la période et de Flavius auront leur opinion (je ne suis pas spécialiste du sujet). Commençons par la première partie: Il considère Marc comme « la source interne fondamentale » (13), et Flavius comme l’unique « source externe » du premier siècle, ce qui fait relativement consensus aujourd’hui (cf. JP Meier). Un point très intéressant qu’il soulève est la possibilité que Jean le Baptiste soit mort après Jésus. Certes, il y a un flou au plan chronologique et Josèphe ne fait pas de lien entre Jean et Jésus (« la mort de Jean est probablement intervenue vers 35 », 74). Mais, d’un autre côté, il me semble difficile que tous les passages où Jésus s’exprime sur Jean en supposant sa mort soient des inventions tardives (le cas est diffèrent pour les déclarations évangéliques du Baptiste lui-même). Dans sa discussion sur Theudas et l’Égyptien (chapitre 3, 53), il ne prend pas en compte l’hypothèse de Steve Mason selon laquelle c’est Luc qui aurait connu Josèphe (plutôt que Luc connaissant par ailleurs l’information sur ces deux rebelles). Je ne suis pas convaincu sur le fait d’identifier Marie « mère de Jacques et José, frères de Jésus » avec Marie mère de Jésus (80). Les pages sur la familiarité étonnante de Jésus avec les femmes sans doute liée à l’estime qu’il avait pour sa mère sont suggestives. Il estime que « rien ne permet d’affirmer que Jésus connaissait le récit des origines et, surtout, y accordait de l’intérêt » (90) ; je pense au contraire était habité par les Ecritures et qu’il les connaissait bien, et que, dans le cas contraire, il lui aurait été difficile d’acquérir une crédibilité que, manifestement, il avait aux yeux de beaucoup. Il considère aussi que le baptême (chrétien) fut une affaire assez tardive et que les disciples de « Christos ne baptisent ni ne sont baptisés » (42). De façon cohérente avec cette opinion, il pense que le passage de 1 Co 1,12-17 montre que « le baptême n’était pas essentiel » pour Paul. Je ne le crois pas. Il suit aussi la version slavonne qui considère que Jésus « fut crucifié par les autorités du Temple » (48, idem 66). Certes, les évangiles cherchent à les blâmer et à décharger les Romains mais de là à blanchir Pilate, il me semble qu’il y a une tendance qui trahit l’évolution des textes chrétiens tendant au fil des décennies à charger les autorités juives et à innocenter Pilate. L’essai a le mérite de secouer certaines de nos conceptions et de nous encourager à lire de près Flavius. Il incite aussi à faire une lecture plus fine des passages originaux de la version slavonne pour voir la logique qui préside à leur rédaction (si l’on tient le texte pour secondaire)…