Quelque part dans la France rurale du centre du pays, à l’orée du 20ème siècle, vit un paysan Firmin. Il a deux fils mais ils ne comptent pas (l’un limité a fait curé, l’autre aime les marges et non le travail dur des champs): son héritier ce sera sa fille, Marie-Ernestine. Elevée chez les sœurs, elle rêve de devenir pianiste. Mais un mariage arrangé va l’enfermer dans une vie malheureuse: elle est l’arrière grand mère de l’auteur et, à travers la vie de quatre générations, il nous narre avec talent l’histoire de sa famille. Il partage cette conviction biblique (et universelle et humaine au fond) que les malheurs se traduisent sur ou trois générations (cf Ex 34,6). Il dispose de quelques éléments chronologiques épars, de quelques photos et objets et il fictionnalise le reste; il imagine les pensées, les rêves, les ébranlements intérieurs. L’écriture est ample, sur un rythme personnel et superbe; il y a quelque chose de Péguy parfois quand il cherche le bon mot et que les vagues de demi phrases se succèdent (et aussi dans la description de ce qu’est un paysan qui s’est enrichi); de Proust parfois, dans la taille des phrases et dans ce souci permanent de définir avec une extrême précision le flot des sentiments et des ressentis. Cette aspiration intérieure profonde à comprendre ses ancêtres se retrouve dans de nombreux livres de ces dernières années, comme tout récemment le magnifique Mon vrai nom est Élisabeth d’Adèle Yon. C’est une certaine France profonde, ses jalousies locales qui croupissent comme dans une mauvaise mare, son catholicisme étriqué et pesant, et sur tout cela il y a l’esprit du 3 août 1914, la débandade des routes de juin 1940, donc toute une histoire de la France, vue par le prisme d’une petite famille dans la campagne profonde. Un grand roman, fin et humain, que Tolstoï aurait apprécié tant il illustre à merveille son célèbre incipit: « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon »…