Shlomo Sand est un historien spécialiste de Georges Sorel et il appartient au groupe dit des « nouveaux historiens » israéliens. L’objectif principal de l’auteur n’est cependant pas de remettre en question l’histoire sioniste depuis 150 ans, même si c’est sans doute ce deuxième chapitre qui est le plus éclairant sur l’insertion du sionisme dans le nationalisme européen du xixe siècle. Son propos est plus ambitieux : il s’agit de déconstruire la notion même de peuple juif en remontant à l’Antiquité. Si bien des propositions et des analyses de ce livre sont pertinentes tout en demeurant discutables (l’auteur reconnaît lui-même en introduction qu’il aborde des sujets dont il n’est pas spécialiste), on ne peut s’empêcher de sentir combien cet ouvrage est une arme de combat dans le débat israélien, destiné d’une part à provoquer les évidences identitaires israéliennes et d’autre part à défendre l’idée d’un état binational. Dire que le concept de nation est un concept tardif et que toutes les identités nationales sont en partie imaginaires (au sens de Benedict Anderson, L’imaginaire national, La Découverte, 2000), on en convient aisément. Relever que les juifs ne pouvaient être devenus aussi nombreux entre la fin de la période perse et le ier siècle de notre ère sans un important mouvement de conversion est sans doute exact. Faire l’hypothèse qu’un bon nombre des paysans juifs restés en Judée sont devenus chrétiens entre le iiie et le vie siècle et que les mêmes sont ensuite devenus musulmans, est fort plausible. En revanche nier la dimension d’attachement à la terre de Sion dans le judaïsme de la diaspora avant le xixe siècle sous prétexte que la plupart des juifs expulsés d’Espagne ne se sont pas installés en Palestine paraît vraiment spécieux. Que cela plaise ou non, la religion juive comporte une dimension territoriale indéniable. Ce livre important mérite d’être lu et de susciter un débat. Il prend légitimement en compte les renouveaux de l’histoire du concept de nation depuis trente ans. Sa description de la réalité israélienne impressionne et son avertissement final sur le fait que la Galilée pourrait bien devenir d’ici peu un nouveau Kosovo sonne juste. Cependant son agenda idéologique transparaît plusieurs fois et le fait soutenir des propositions hautement contestables. Le risque n’est pas mince que, sous prétexte de critiquer la politique de l’Etat d’Israël, on en vienne à utiliser ce livre comme une négation de l’identité indissolublement nationale et religieuse des juifs. Par bien des côtés, l’auteur a raison de souligner la dimension universelle et religieuse du judaïsme, mais elle ne saurait faire oublier un attachement concret à une terre et à une langue même chez des gens qui ne descendent pas physiquement d’un mythique Abraham.
Recension parue dans la revue Etudes en 2010