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Comment tuer Jésus? Abus, violences et emprises dans la Bible de Philippe Lefebvre

Depuis plus de vingt ans, Philippe Lefebvre, bibliste dominicain et auteur d’une œuvre remarquable (notamment sur les livres de Samuel) accueille et écoute des victimes d’abus commis dans l’Eglise. Il ne l’a pas choisi mais, comme il le dit, une fois que des victimes ont trouvé une personne prête à écouter, cela se sait petit à petit. Il s’est alors heurté à tout le système de déni et d’étouffement qui a fait – et continue de faire – tant de mal.  Il s’est décidé à écrire. Dans une langue claire, accessible et forte à la fois, il se penche sur la Bible pour montrer combien elle est attentive aux cris des victimes, combien elle dénonce en certains passages, avec une extrême justesse, la logique des abus, que c’est même un de ses actes les plus forts. Dans ce livre, Philippe Lefebvre ne cherche ni à scandaliser ni à minimiser. Mais il éveille encore davantage notre attention à certains textes clefs qui décrivent avec rigueur la logique des humiliations et des abus. Nous retrouvons certaines des intuitions qu’il a développées dans des livres précédents mais elles sont reprises avec grande limpidité: « Jésus fait donc un lien entre les dispositions des hommes envers les femmes (on pourrait, selon ses interlocuteurs, les renvoyer comme et quand on veut) et les dispositions de ces mêmes hommes envers Dieu : dans les deux cas, c’est la dureté de cœur qui fait ses ravages. Comme on traite Dieu, on traite les femmes et réciproquement […] Comme on traite les femmes, on traite le Fils de Dieu. On pourrait encore dire : comme on abuse des femmes, on abuse de Dieu ». Il relève, en parlant de Jésus, combien « femmes et enfants sont même au cœur de son expérience, de sa prédication, j’oserais même suggérer : de sa ‘spiritualité’. » Ainsi, « qui viole un enfant viole le messie lui-même ; qui ferme les yeux sur les malversations faites contre un enfant, renie le messie, le trahit et le livre au bourreau. Dans l’enfant soit respecté, soit bafoué, c’est le messie, ni plus ni moins, qu’on reçoit ou qu’on traîne à la croix. Telle est la logique que l’évangile fonde et déploie ». Derrière ces abus, il pointe un déni de parole, des paroles fausses ou creuses, ou des silences tout aussi mortifères et, en conséquence, il appelle à redécouvrir la place centrale de la Parole dans la trajectoire biblique: « S’il manque quelque chose dans l’Église, c’est à mon avis d’abord d’une véritable culture de la parole. Parler pour vraiment dire quelque chose, parler à quelqu’un, répondre quand on est interpellé, répondre de ses actes quand ils sont répréhensibles, dialoguer quand on est d’appartenances différentes, dire qu’on ne sait pas quand on ne sait pas, et puis écouter – écouter ce que d’autres ont à dire, même si l’on se sent a priori éloigné de ce que l’on croit qu’ils vont dire ». Cet appel rejoint en son cœur ce que le pape François essaie d’impulser: relancer le goût et le désir d’une parole vraie, d’une parole qui part du réel et a pour destinataires des personnes réelles… « C’est pourquoi la Bible comme Parole de Dieu dénonce en permanence chez les humains les propos mensongers, les réflexions qui discréditent, les mutismes assassins. […] Parle-t-on pour commettre l’abus et terrasser une personne ? Ou bien pour faire vivre et mettre en joie, en confiance, en communion? » Telle est la question. Je le dis en toute simplicité: c’est un livre majeur, petit certes en apparence, mais d’une force tranquille qui ouvre des chemins en nous. Notre vie ecclésiale, et au fond notre salut d’être humains tout court, trouvera dans les paroles de ce livre la boussole qui nous permettra d’avancer.

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