
L’auteure nous raconte avec un indéniable talent littéraire son combat, personnel et de couple, pour avoir un enfant. Comme elle le dit, » Je l’ai toujours voulu, toujours désiré, imaginé, rêvé, aussi loin que je m’en souvienne. Je me suis toujours projetée dans ce futur-là. Déjà lorsque je jouais, petite, si petite, je tenais invariablement une poupée contre moi et j’imitais ma mère. Je l’ai toujours voulu, bien avant qu’on me parle d’instinct de reproduction, de désir intrinsèque, d’histoire d’amour, d’horloge biologique ou de pression sociale. Une évidence imprimée au fer rouge dans une chair toute fraîche et un esprit encore vierge. Une obsession. Des enfants, des mômes, des kids, des gosses, le plein de gosses. Des gosses à profusion. Une famille nombreuse ». C’est touchant et sincère. Elevée dans une famille bourgeoise catholique, avec vacances à St Lunaire et ce qui va avec, elle ne peut pas s’imaginer sans enfants. Heureusement, le couple qu’elle forme avec son mari Antoine est très fort (tous deux se sont rencontrés à 18 ans, sont orphelins en partie et ont une relation fusionnelle mais riche aussi; pour elle, ce désir fort est peut-être lié à la disparation précoce de sa mère: » La maternité m’était alors apparue comme une absolue nécessité pour que la vie reprenne. Au milieu de ces quatre hommes en noir, je ne pensais qu’à ça, faire un jour des enfants. Pour que la vie triomphe de la mort, que l’histoire continue. Peut-être aussi pour ressusciter une mère tant aimée partie trop tôt ») car, à un moment donné, le désir devenu obsession autocentrée menace leur unité. Son problème est un défaut génétique rare (« une translocation robertsonienne ») qui lui permet de concevoir mais lui fait perdre les fœtus vers quatre mois car leur grande majorité est porteur d’un défaut génétique. Que faire? Choisir d’adopter va être leur choix. Mais ce n’est pas simple. L’expérience ici racontée de manière vive et intense parlera à beaucoup. Il dit « cet irrépressible désir d’enfanter » qui anime l’humanité (Marcel Domergue sj parlait de l’«impérieux désir d’enfant [qui] hante les hommes de la Bible », Croire aujourd’hui 2005, p. 18). Aujourd’hui, quand beaucoup de jeunes disent ne pas vouloir d’enfants pour un ensemble complexe de ‘raisons’ qu’il nous faut entendre, beaucoup de femmes (et dans une moindre mesure d’hommes) ne conçoivent pas leurs vies sans enfants. La position chrétienne là-dessus est très paradoxale et peu comprise: nul n’est tenu de se marier et d’avoir des enfants – ce n’est pas un commandement religieux à la différence des deux autres religions monothéistes -; en revanche, accueillir la vie pour un couple est requis (dans la mesure du possible et il y a bien des formes de fécondité quand la naturelle se révèle impossible). Il est frappant que l’auteure cite une phrase de la Genèse qui sert de base à la série « The Handmaid’s Tale » où elle est utilisée de façon perverse par la secte au cœur du récit. Car cette phrase dit la douleur sans doute mais n’est théologiquement pas juste. L’auteure est de tradition catholique et elle va à l’occasion prier pour dire son désarroi de façon psalmique et juste: » Je me racle la gorge, cherche à éclaircir ma voix, ferme les yeux, murmure du bout des lèvres : « Notre Père qui es aux Cieux… Pourquoi ? Pourquoi ? T’es là ? Dieu, t’es là ? Parle-moi… T’existes, hein, dis-moi t’existes ? Ne m’abandonne pas » ou encore: « Tout me paraît injuste, inacceptable. Moi qui ai toujours appris à ne pas m’emporter, à sourire à la dame, aux messieurs, aux enfants, à dire que tout va bien. Dans mon mal-être, et alors même que je lui en veux, je crois que je ne cesse de chercher Dieu. Partout. Tout le temps. Je l’attends au tournant et l’invoque en hurlant. Je ne vois aucun signe du ciel, aucune réponse ». Cependant ce n’est pas exactement l’évangile qui anime sa vie et cela entraîne une réaction exacerbée qui, à un moment du moins, l’isole de son mari et l’enferme sur elle-même: elle veut l’enfant pour elle, plus qu’elle ne considère son mari Antoine: « D’ailleurs, en fait, tu veux que je te dise ? Ce serait faux. Je le fais pour l’enfant que je veux et sans lequel je ne peux pas vivre, tu comprends ou pas ? — L’enfant que tu veux ? — Oui. — Mais Laure, moi aussi je veux un enfant, on veut tous les deux un enfant. Ce n’est pas le sujet. — Les médecins vont trouver ce qu’il y a et ça va se résoudre. On va l’avoir, cet enfant, tu m’entends ? — Il est peut-être là le problème ! Tu n’es pas toute seule. Y a toi, moi… et puis la nature ! conclut-il, en me raccrochant au nez ». Dans une telle épreuve, on n’a pas besoin de discours et de paroles convenues mais de présence attentive. Elle brocarde d’ailleurs avec justesse les différents couplets qu’on lui a, un peu vite, servi:
« À quatre mois, ce n’est pas un être humain, le cerveau n’est pas encore formé, ça va, reprends-toi, t’es toute maigre, mange, sors, remets-toi au sport. »
Silence.
« Ce n’est pas un cancer, non plus. »
Silence.
«Ne t’apitoie pas sur ton sort, occupe-toi d’Antoine plutôt. S’il te voit pleurer comme ça, il va finir par aller voir ailleurs. Crois-en mon expérience. »
Silence.
« Dieu envoie les épreuves que chacun est capable d’affronter. Vous avez les ressources tous les deux pour faire face à ça. »
Silence.
« Vous avez tout pour être heureux. Vous êtes beaux, vous êtes brillants et vous vous aimez. Ce n’est quand même pas un projet de gosse qui plante qui va vous faire craquer ? »
Silence.
« Tu sais, moi j’ai fait une fausse couche à cinq semaines, c’était dur mais je me suis accrochée et deux mois plus tard, ça a marché. Maintenant, ma puce est là et on songe déjà au second, je me sens tellement mère ! T’inquiète, tu vas vite oublier et je suis sûre que ça va fonctionner pour toi aussi. » Silence.
« Priez. Il n’y a que ça qui marche. Priez et espérez. »
Silence.
« Ce petit être fragile est passé dans votre vie de façon expéditive mais pour une bonne
raison, tu sais. Il était là pour vous dire des choses que vous comprendrez peut-être plus tard. Il y a un
sens à tout. »
Silence.
« On s’en remet, vous vous aimez, c’est le principal. Regarde ce qu’il se passe dans le monde, ce n’est pas drôle ce que vous vivez mais y a bien pire ailleurs. Tu as vu la famine qui sévit en Somalie ? »
Silence.
« À ce stade, ça s’inscrit sur un livret de famille ? »
Silence.
« Et l’adoption, vous y7 avez pensé ? »
Silence ».
Un livre fort, authentique, contemporain et émouvant . Pour éprouver – ne serait-ce qu’un peu – l’épreuve que constitue l’infertilité.