Dans ce livre court et dense, l’auteur nous propose une apologétique pour aujourd’hui, des indices plus que des preuves, des arguments enracinés dans notre aspiration humaine au sens. Il cherche à ébranler (mais sans excessive confiance en ses moyens) l’indifférence envers la foi, et en particulier la foi chrétienne, chez beaucoup de nos (jeunes) contemporains. Il a choisi le mode de la correspondance en s’adressant à Alma, une jeune femme (fictive) d’origine catholique mais ayant, plutôt plus que moins, abandonné le monde de la foi. L’ensemble est très bien écrit, appuyé sur peu de citations mais d’auteurs importants (dont beaucoup font également partie de mes auteurs de prédilection : Georges Bernanos, Blaise Pascal, Edith Stein, Etty Hillesum, Olivier Clément, Jean-Marie Lustiger (dans un passage clef du ‘Choix de Dieu’ qui m’avait en son temps aussi beaucoup marqué)).
Il se permet même à l’occasion de faire des allusions discrètes à d’autres auteurs sans le dire, ce qui est assez sympathique et élégant (j’ai relevé par exemple des allusions à ‘l’élégance des veuves’ d’Alice Ferney, à la ‘première gorgée de bière’ de Philippe Delerm, aux ‘regards qui espèrent’ de Paul Baudiquey, au commentaire d’André Wénin sur la Genèse avec « Honorer, c’est reconnaître le poids de vie qui m’a été donné », ou même, vers la fin, à Benoit XVI sur le Christ qui ne retire rien mais donne tout) et certaines autres allusions ont dû m’échapper. Je rejoins totalement l’anthropologie qui s’exprime, qui est à la fois relationnelle et fondée sur le don (« La vie est reçue, mais elle doit être donnée » et « nous sommes faits pour nous donner ») ce qui amène cette affirmation essentielle : « La joie est toujours de l’ordre de la relation ». Il y a aussi une expression douloureuse et franche des manquements de l’Eglise et de ses péchés. Le ton n’est ni triomphaliste ni larmoyant.
Au passage, il dresse un bel hommage à la foi des musulmans pieux et profonds connus dans son enfance au Maroc, ce qui notamment dans la France d’aujourd’hui, mérite louange : « j’ai été bercé, toute mon enfance, par l’extraordinaire sens de l’accueil des musulmans, leur générosité spontanée et leur sens de la grandeur de Dieu » et se refuse à ce que « la foi soit [érigée] comme un étendard social ou politique », d’ailleurs « Les chrétiens n’ont pas le monopole des valeurs. Ils n’ont pas le monopole du cœur ». Il montre bien également que la foi en la résurrection a partie liée avec la justice de Dieu et que tout homme porte une aspiration à la justice : « Nous portons dans le cœur une invincible résistance à la finitude des êtres, ou, mieux, une indéracinable espérance de vie, une soif insondable de justice ». Même s’il ne peut approuver l’euthanasie, il confesse honnêtement : « Je suis de ceux qui redoutent la souffrance du corps, la solitude psychique, l’enfermement progressif de l’homme dans la prison du handicap, la déchéance progressive de ses facultés mentales et l’angoisse d’être à charge. Qui ne l’est pas ? » In fine, il avoue aussi qu’il sait bien que ses raisons, pourtant honnêtement et clairement présentées, ne changeront sans doute pas le cœur de sa jeune interlocutrice mais il réaffirme alors sa foi que Dieu sait trouver des chemins vers les cœurs que nous ne voyons pas et qu’on ne peut baliser : « Peut-être cela se fera-t-il par une rencontre fortuite, au détour de la vie, ou par la perte d’un être cher, ou par la joie d’attendre un enfant. Que sais-je ? Les voies du Seigneur nous surprennent toujours et le désir de trouver Dieu est déjà un don de Dieu. »
Le livre s’achève par l’éloge de son vieux père spirituel jésuite décédé aujourd’hui et dont, étant jésuite, je peux deviner le nom même s’il n’est pas donné, livrant une magnifique définition d’un jésuite (qui ne me correspond pas très bien, hélas, mais on ne peut avoir toutes les qualités et aucun jésuite ne ressemble à un autre 😉) : « C’était un jésuite à l’écoute silencieuse, à la parole rare et énigmatique, un peu malicieuse parfois […] J’ai gardé dans mon cœur son sourire et ses yeux, j’ai surtout gardé son silence, sa parole rare et précieuse, son extraordinaire délicatesse, son respect de la liberté de ceux qu’il accompagnait, sans compter ses heures, devant son bureau couvert de quelques livres, d’un crucifix ».