
Dans cet ouvrage accessible et enlevé, Daniel nous livre sa vision de Paul acquise après trente ans de lecture serrée. Je devais le lire depuis longtemps! J’ai été très heureux que la passion de Paul, son côté de pasteur itinérant, engagé et charismatique, passe bien et que la théologie soit présentée de façon claire et synthétique dans ses enjeux de pasteur. La vision qu’il présente de l’homme, et des lettres, rejoint bien le consensus de l’exégèse paulinienne récente (francophone mais pas seulement car Jean-Noël Aletti, qu’il rejoint souvent et cite beaucoup, est cité dans le monde entier). Je me suis senti en phase avec l’essentiel et je recommande le livre à qui veut découvrir Paul de façon vivante et compétente à la fois. Bien sûr – ce serait étonnant qu’il en soit autrement -, j’ai de petites nuances sur certains points. Parfois, c’est une simple question de nuance ou d’expressions que j’aurais dites un peu autrement. Dans l’un ou l’autre cas, ma sensibilité fait que je penche parfois vers une vision un peu différente. Je vais en donner quelques exemples plus bas mais ce n’est pas indispensable de s’y plonger sauf si on travaille Paul ou si on a déjà bien travaillé le sujet…
Remarques.
a) Personnellement j’évite le mot ‘Palestine’ quand on parle de réalités historiques avant 135 et la débaptisation de la Judée et j’étais surpris que le terme apparaisse assez souvent (pp. 281.282).
b) Il fait de Philippiens la dernière lettre de Paul écrite à Rome (p. 278). C’est relativement original et certainement possible mais j’avoue que j’ai à peine à le juger probable…
c) Il penche vers l’hypothèse que sa citoyenneté romaine viendrait d’un esclave émancipé (p. 26). Vu son statut religieux pharisien, son métier de fabriquant de tentes, je penche vers l’hypothèse de Marie-Françoise Baslez (récompense accordée à son grand père pour services rendus à Rome) mais je ne suis pas un expert sur la question juridique…
d) Il continue à parler de « double culture » (p. 22): je faisais cela dans ma thèse encore mais j’ai peu à peu réalisé avec Erich Gruen qu’il avait plutôt une seule culture juive hellénistique et qu’il est excessif de parler de « double culture ».
e) Athènes aurait été un « fiasco » (p. 87): il suit ici la lecture ‘habituelle’ de Ac 17 mais je n’en suis pas convaincu dans le récit du moins (car sur le plan historique on peut discuter).
f) 1 Co 14,34-35 n’est pas une addition (pas de base manuscrite) mais de Paul. Oui, possible, mais je persiste à avoir des doutes et à percevoir une forte tension avec les chapitres 12-14.
g) Paul a « eu une éducation stoïcienne » (183): cela me paraît en dire un peu trop. « A une certaine familiarité avec des thèmes philosophiques de facture stoïque et qui étaient diffus » oui. Surtout qu’il fait cette remarque à propos des catalogues de vices, un genre répandu. Il revient là-dessus p. 512.
h) Yohanan ben Zakai et la mystique dela merkava (p. 188): il me parait difficile de le faire remonter au 1er siècle; c’est en tout cas très fragile.
i) Sur Philippiens comme dernière lettre, il observe que Paul est « vulnérable, amer, sans avenir » expression qui me paraît un peu forcée.
j) il consonne avec le consensus majoritaire sur le fait que l’hymne de Philippiens 2 est traditionnel, pré-paulinien et inspiré de Is 53 (p. 296). Je continue à être réservé ou à penser que les arguments sont fragiles et que le tout est paulinien.
j) Sur la fin de Paul à Rome, je consonne plutôt avec lui: il fait assez confiance au témoignage de Clément de Rome, vers 95, parlant de ‘jalousie’, laissant entendre que les divisions entre chrétiens ont contribué à la mort de Paul. D’où « Paul est mort seul (en tout cas abandonné par plusieurs dirais-je) entre 62 et 64 » (p. 323). Ainsi cela mettrait vers la fin de la vie de Paul deux ‘refus’ ou ‘mauvais accueil’: un à Jérusalem vers 58 et un à Rome vers 60/62.
Point plus fondamental.
Il porte sur la question de la nouvelle perspective sur Paul, Daniel accepte la critique de certains tenants de la ‘vieille perspective’ selon laquelle cette lecture serait « sociologique ». Je ne le pense as pour l’essentiel car elle est avant tout ecclésiologique. En revanche il est vrai que la critique paulinienne de la Loi de Moïse ne porte pas seulement sur les commandements rituels mais remet en cause tout un rapport religieux à la question de la Loi.