Ce livre nous présente une affaire digne d’un roman à suspense… En 1883, le marchand d’antiques jérusalémite Moses Shapira présente au British Museum des manuscrits qui auraient été trouvés près de la rivière Arnon de l’autre côté de la Mer morte par rapport à Qumran. Mais les experts du Musée, soutenus aussi par Charles Clermont-Ganneau, un orientaliste français qui avait dénoncé quelques années auparavant de fausses poteries moabites associées au nom de Shapira, considèrent in fine que ces manuscrits sont des faux. Quelques années plus tard, ils disparaissent et n’ont plus été revus: nous n’en avons que des fac-similés. Après la découverte des manuscrits de Qumran en 1947, un ou deux savants se sont demandés, sans être suivis, si ces manuscrits ne pourraient pas être authentiques. Et voilà qu’un jeune chercheur israélien commence à se dire que, peut-être, ils seraient authentiques. Il en publie donc aujourd’hui son analyse. Ce texte (V) se présente comme une suite de versets correspondant à des sections initiales et finales du Deutéronome et son hypothèse c’est qu’il ne s’agit pas d’un pieux résumé du Dt mais un document correspondant à un état antérieur au texte canonique du Deutéronome. En pratique, nous avons des parallèles avec le début (surtout Dt 11) et la fin de (Dt 27). Du coup, l’idée de base est que, là où l’on a longtemps pensé que Dt aurait été composé avec un code de lois, Dt 12-26 au centre, qui aurait ensuite été complété par des parties narratives aux extrémités, nous nous trouverions en fait avec une dynamique opposée: V, le document Shapira, contiendrait les bouts, ainsi qu’une version un peu différente dans les mots du Décalogue mais pas le centre. En outre, il montre que certains échos du Décalogue aillezurs dans la Bible, en Jérémie, Ps 50 et en Lévitique 19, s’expliquent plus clairement avec la rédaction de V. Et il est vrai que le rituel évoqué aux monts Garizim et Ebal en Dt 11 s’enchaîne assez naturellement avec Dt 27. Je ne suis pas compétent pour juger de l’aspect épigraphique et paléohébraïque. Deux remarques finales: le texte ne remet absolument pas en cause la façon dont nous pensons le processus long et complexe de constitution des livres bibliques unissant peu à peu sections narratives et sections législatives dans la Torah. Il offre simplement un autre scénario, crédible, de constitution du Deutéronome. Il y a quelque chose de fascinant à se dire que nous pourrions avoir accès à un texte pré-canonique d’un livre de la Torah! Mais, deuxième remarque, tant que ces manuscrits ne seront pas trouvés, rien de très certain ne pourra être dit puisqu’aucun test, au carbone 14 ou autre, ne pourra être fait. Le travail de Dershowitz est de qualité et il a relancé un débat qui n’est pas près de se conclure… sauf nouvelles découvertes!