Prix Goncourt 2020. C’est un peu un objet littéraire non identifié. Nous faisons connaissance avec un groupe hétéroclite de personnes se trouvant dans le même avion, un tueur à gage improbable, un architecte déprimé, un chanteur nigérian, une avocate brillante, des chercheurs originaux. L’écriture est vive, très orale, mêlant phrases bien troussées et truismes faciles, pastiches occasionnels et citations culturelles plus ou moins convenues, un peu à la J. Dicker. Reconnaissons au passage qu’il sait se moquer de son propre livre: « Victor a lu l’Anomalie, il y reconnaît sa manière mais ne s’y retrouve pas. Il ne goûte pas cet art de la formule et n’a pas de fascination pour l’aphorisme. L’enthousiasme que ce livre a soulevé lui échappe » (268). Au cœur de l’intrigue, un événement physique improbable (ne cherchons pas à le décrire) qui rend la deuxième partie du livre plutôt confuse (et passablement ridicule). L’auteur expose rapidement concepts scientifiques et informations géopolitiques variées (sans trop se soucier de véracité: le salafisme n’est pas une autre branche de l’Islam que le sunnisme par exemple; en outre sa vision, très germanopratine, de la religion est d’un primaire désolant; une chose (fort aisée il est vrai) est de brocarder les sectes pseudo-chrétiennes américaines, une autre de faire dire au pape François quelque chose d’invraisemblable et qui ne lui correspond pas). L’auteur vient du monde de l’oulipo et cela se sent je trouve. C’est léger, vain, très exercice de style, souvent malin, parfois pertinent, mais la vacuité de l’intrigue affaiblit la crédibilité des personnages, du coup assez inconsistants, trop nombreux d’ailleurs pour entrer véritablement dans notre esprit (ce que l’auteur sait d’ailleurs très bien puisqu’il écrit: « Son éditrice l’a supplié, Victor, pitié, c’est trop compliqué, tu vas perdre tes lecteurs, élague, va à l’essentiel. Mais Victor n’en fait qu’à sa tête. » 322: cette manière de désarmer par avance les critiques a peut-être séduit les critiques, qui sait?). Bref, ce n’est pas foncièrement désagréable, cela provoque à l’occasion un sourire mais l’ensemble sera très vite oublié.